La phonétique en jouant

La phonétique en jouant

Textes

Connaissez-vous la pièce de Ionesco  "La leçon" ? 

non Déçu ?  alors courez la chercher dans une bibliothèque !

 

« Ce qui différencie ces langues, ce ne sont ni les mots, qui sont les mêmes absolument, ni la structure de la phrase qui est partout pareille, ni l’intonation, qui ne présente pas de différences, ni le rythme du langage... ce qui les différencie...c’est une chose ineffable. Un ineffable que l’on n’arrive à percevoir qu’au bout de très longtemps, avec beaucoup de peine et après une très longue expérience...On ne peut vous donner aucune règle. Il faut avoir du flair, et puis c’est tout. Mais pour en avoir, il faut étudier, étudier et encore étudier ».

Ionesco : La leçon

        Gallimard, Folio p132

 

 

Pour faire donc sortir les mots, les sons et tout ce que vous voudrez, sachez qu’il faut chasser impitoyablement l’air des poumons, ensuite le faire délicatement passer, en les effleurant, sur les cordes vocales qui, soudain, comme des harpes ou des feuillages sous le vent, frémissent, s’agitent, vibrent, vibrent, vibrent ou grasseyent, ou chuintent ou se froissent, ou sifflent, sifflent, mettant tout en mouvement : luette, langue, palais, dents... lèvres.... Finalement les mots sortent par le nez, la bouche, les oreilles, les pores, entraînant avec eux tous les organes que nous avons nommés, déracinés dans un envol puissant, majestueux, qui n’est autre que ce qu’on appelle, improprement, la voix, se modulant en chant ou se transformant en un terrible orage symphonique avec tout un cortège ... des gerbes de fleurs des plus variées, d’artifices sonores : labiales, dentales, occlusives, palatales et autres, tantôt caressantes, tantôt amères ou violentes.

 

Ionesco : La leçon

        Gallimard, Folio p.123

 

 

 

« Si vous émettez plusieurs sons à une vitesse accélérée, ceux-ci s’agripperont les uns aux autres automatiquement, constituant ainsi des syllabes, des mots, à la rigueur des phrases, c’est à dire des groupements plus ou moins importants, des assemblages purement irrationnels de sons, dénués de tout sens, mais justement pour cela capables de se maintenir sans danger à une altitude élevée dans les airs. Seuls, tombent les mots chargés de signification, alourdis par leur sens, qui finissent toujours par succomber, s’écrouler ... ou crever comme des ballons ».

Ionesco : La leçon

     Gallimard, Folio p.122

Alphabet de Victor Hugo

 

Dans un chapitre de son volume Voyages, Victor Hugo passe toutes les lettres de l’alphabet en revue une à une, et en fait une très pittoresque description : « La société humaine, le monde, l’homme tout entier est dans l'alphabet. La maçonnerie, l'astronomie, la philosophie, toutes les sciences ont là leur point de départ, imperceptible, mais réel ; et cela doit être. L'alphabet est une source.

    • « A, c'est le toit, le pignon avec sa traverse, l'arche, arx ; ou c'est l'accolade de deux amis qui s'embrassent et qui se serrent la main ;
    • « B, c'est le D sur le D, le dos sur le dos, la bosse ;
    • « C, c'est le croissant, c'est la lune ;
    • « D, c'est le dos ;
    • « E, c'est le soubassement, le pied droit, la console et l'étrave, l'architrave, toute l'architecture à plafond dans une seule lettre ;
    • « F, c'est la potence, la fourche, furca ;
    • « G, c'est le cor ;
    • « H, c'est la façade de l'édifice avec ses deux tours ;
    • « I, c'est la machine de guerre lançant le projectile ;
    • « J, c'est le soc et c'est la corne d'abondance ;
    • « K, c'est l'angle de réflexion égal à l'angle d'incidence, une des clefs de la géométrie ;
    • « L, c'est la jambe et le pied ;
    • « M, c'est la montagne, ou c'est le camp, les tentes accouplées ;
    • « N, c'est la porte fermée avec sa barre diagonale ;
    • « O, c'est le soleil ;
    • « P, c'est le portefaix debout avec sa charge sur le dos ;
    • « Q, c'est la croupe avec la queue ;
    • « R, c'est le repos, le portefaix appuyé sur son bâton ;
    • « S, c'est le serpent ;
    • « T, c'est le marteau ;
    • « U, c'est l'urne ;
    • « V, c'est le vase (de là vient que l’u et le v se confondent souvent) ;
    • « X, ce sont les épées croisées, c'est le combat ; qui sera le vainqueur ? on l’ignore ; aussi les hermétiques ont-ils pris X pour le signe du destin, les algébristes pour le signe de l’inconnu ;
    • « Y, c'est un arbre ; c'est l'embranchement de deux routes, le confluent de deux rivières ; c'est aussi une tête d'âne ou de bœuf ; c'est encore un verre sur son pied, un lys sur sa tige, et encore un suppliant qui lève les bras au ciel ;
    • « Z, c'est l'éclair, c'est Dieu. »

 

 

Voyelles

Voici le poème le plus célèbre de Rimbaud qui associe les cinq voyelles de l'alphabet français.

Ici, le poète joue avec les mots, les lettres, les couleurs et les sons (bombinent, rire, colère, vibrements, strideurs) en un tableau très coloré déjà précurseur des Illuminations. Les voyelles deviennent des objets avec lesquels on peut s'amuser et qui portent en elles leurs propres réalités, sens et couleurs (naissances latentes). Les couleurs ont une valeur symbolique. Pour le noir, la cruauté, la nuit (puanteur cruelle, golfes d'ombre) ; pour le blanc, la fierté, la pureté, la légèreté ; pour le rouge, le sang, les lèvres, la colère, les excès ; pour le vert, la sérénité et la paix ; pour le bleu, évocation religieuse des cieux (suprême clairon, anges). Et il passe au violet pour l'évocation des yeux de La Femme. 

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A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

 

Golfes d'ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

 

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

 

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet 
de Ses Yeux ! -

 

 

Un poème
Raymond Queneau

Bien placés bien choisis
quelques mots font une poésie
les mots il suffit qu’on les aime
pour écrire un poème
on ne sait pas toujours ce qu’on dit
lorsque naît la poésie
faut ensuite rechercher le thème
pour intituler le poème
mais d’autres fois on pleure on rit
en écrivant la poésie
ça a toujours kékchose d’extrème
un poème

 

 

 

 

 

Pour un art poétique
Raymond Queneau

 

Prenez un mot prenez en deux
faites les cuir' comme des œufs
prenez un petit bout de sens
puis un grand morceau d'innocence
faites chauffer à petit feu
au petit feu de la technique
versez la sauce énigmatique
saupoudrez de quelques étoiles
poivrez et mettez les voiles
Où voulez-vous donc en venir ?
A écrire Vraiment ? A écrire ?

 

 

 

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31/03/2014

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